Jacob Reder

né le 16 mai 1900

 

Mon père, Jacob Reder, est né le 16 mai 1900 à Lodz, Pologne, de Moniek et Ida Markowitz. Il a fait des études de chirurgien-dentiste dans cette ville. Après son service militaire à Vilno, de 1921 à 1927, il a émigré en France la même année. Il a épousé à Paris Tauba Kurcwajd, dont il a eu deux enfants : Marcel en 1929, et Paulette en 1931.

En 1932, sa femme Tauba quitte la France pour retourner en Pologne, emmenant la petite Paulette et le laissant seul avec Marcel. Ils n’en auront plus de nouvelles.

En 1935, il fait la connaissance de ma mère, Osna Cyna Rotbardt, née en 1909 à Grojec, près de Radom (Pologne), arrivée elle-même en France en 1934. Marcel vit avec eux et je fais mon apparition le 13 août 1938.

Jacob Reder, Marcel et Osna

 

Rachel entre son frère Marcel et Jacob, leur père

La guerre éclate.

Mon père est arrêté une première fois le 14 mai 1941, interné au camp de Pithiviers où il restera jusqu’au 18 novembre 1941. Profitant d’une permission de trois jours, il ne se représente pas au camp.

Mes parents rejoignent la « zone libre ».

Arrêté de nouveau à Lyon le 14 mars 1944 par la Gestapo, mon père est amené avenue Berthelot, au siège de la Gestapo, interrogé et torturé, puis transféré à la prison française du Fort Montluc où il est gardé jusqu’au 20 mars 1944, date de son transfert au camp de Drancy.

Il sera déporté le 15 mai 1944 par le convoi 73, alors que j’étais âgée de cinq ans et demi.

J’ai très peu de souvenirs de la vie passée aux côtés de mon père. Nous avons été séparés à plusieurs reprises, d’abord en 1941, lors de son premier internement, puis en mai 1942, et encore au début de l’année 1943, où je suis devenue une « enfant cachée ».

Au mois de mai 1942, afin de nous protéger du nazisme, mes parents nous ont, mon frère Marcel âgé de treize ans et moi, Rachel, quatre ans, placés dans une pension d’enfants, à Cérans-Fouilletourte, dans la Sarthe, tenue par Mme Houssin. De là, par un « hasard » encore inexpliqué à ce jour, le 15 octobre 1942, les Allemands munis de la liste des quinze noms des quinze enfants juifs, et seulement de ceux-là, sont venus nous chercher. Ils nous ont d’abord emmenés au camp de Mulsanne, où nous sommes restés trois jours. Nous avons ensuite été transférés, le 18 octobre 1942, au camp de Drancy.

Le 28 octobre 1942, une personne de l’UGIF nous a conduits au 9 rue Guy Patin, Paris (Xe) où les jeunes enfants juifs étaient gardés par l’UGIF, sous le contrôle des Allemands. La sœur de ma mère, en tant que Française, avait un droit de visite et de sortie hebdomadaire. Le 20 décembre 1942, elle prend une initiative courageuse et décide, à l’issue d’une sortie, de ne pas nous reconduire au Centre. Mon oncle et ma tante nous emmènent, Marcel et moi, directement à la gare où un rendez-vous avec un « passeur » avait été organisé, afin de nous faire rejoindre nos parents en « zone libre » à Lyon.

J’ai donc pu retrouver mon père pendant quelques mois, jusqu’au printemps 1943, où je suis devenue « Renée, enfant cachée » dans une famille chaleureuse de Brison, en Haute-Savoie, la famille Coudurier.

Je n’ai plus jamais revu mon père. J’ai pu reconstituer partiellement son itinéraire, notamment grâce aux souvenirs de ma mère, tant par ce qu’elle m’en a raconté que par les dernières lettres de mon père, envoyées de Drancy, qu’elle m’a confiées. Les récits de mon frère m’ont aussi beaucoup aidée, ainsi que ceux de la famille, de même que ceux des autres enfants plus âgés, présents comme moi chez Mme Houssin, ayant suivi le même « itinéraire » : Drancy, UGIF… et qui ont eu comme moi la chance de survivre. Enfin, plusieurs années de démarches auprès d’associations et d’administrations gardiennes d’archives m’ont permis de connaître quelques étapes du parcours de mon père.

Ils l’ont assassiné, mais il continue et continuera à vivre, par notre mémoire.

Rachel Szpicak-Reder

 

Lettre de Jacob Reder à sa femme
(traduit du polonais le 30 septembre 1996 par Inga Pikielny)


Drancy, le 10/5/1944

Ma chère,

J’ai reçu le colis de nourriture, et aussi le paquet de linge. Quant à moi, je suis à Drancy. C’était le 21 mars, quand j’étais chez Mme Andze, parce que je suis descendu vers cinq heures, et je me dirigeais vers la maison, quand, tout d’un coup, c’était encore avant le pont, deux hommes se sont approchés de moi, et sans rien me demander, m’ont fait entrer de force dans une voiture. Naturellement, je n’ai pas pu me défendre, car j’étais tout seul, et ils m’ont emmené avenue Berthelot, c’est la Gestapo.

Ils m’ont demandé où j’habite et où était ma femme - sur quoi je leur ai répondu qu’elle était en Pologne - et où étaient les clés de la maison. Naturellement, je n’avais plus rien, seulement ils m’ont pris mon argent, jusqu’au dernier centime, et m’ont pas mal tabassé. Ils vous frappent sans merci. J’étais là jusqu’au soir, et ensuite ils m’ont emmené à Montluc, en prison. Là, je suis resté jusqu’au 31 mars et ils m’ont transporté à Drancy, et nous attendons un autre départ, seulement on ne sait pas vers où.

Il est très possible que je reste en France, et que je serai affecté à Infor (?) Todt, et ça, on le saura dans quelques jours. Ici à Drancy la vie est plutôt misérable. On reçoit un morceau de pain par jour, c’est-à-dire 250-300 g, deux fois de la soupe, et le matin du café. Mais ça, ce n’est rien, parce qu’il est temps de s’intéresser à toi et à tous nos amis.

Il faut se surveiller, c’est-à-dire avoir ARSIVE (?) d’Andze, ne pas fréquenter de Juifs, etc., parce qu’ici, il en arrive tous les jours, de tous les coins de France. Et en cas de malheur, il faut être préparé. Cacher sur soi quelques francs, et à tout hasard avoir un colis prêt. Quant à l’argent et aux bijoux, donne-les à un Français, parce que s’ils trouvent de l’argent, ils emmènent tout jusqu’au dernier centime, aussi les bagues et les montres, en un mot tout.

Quant aux enfants, cache-les pour que personne ne sache où ils sont, naturellement chez un Goy. En plus, il ne faut avoir sur soi aucune adresse ni lettre. À moi, ils m’ont même pris une lettre de Heniek. Quant à .................. (illisible). Quant à moi, ne t’inquiète pas, je voudrais seulement que tu fasses ce que je te dis, et surveille bien les enfants.

Si jamais on m’envoie dans Todt, j’irai voir Renée. On m’a pris la carte du tabac............., tu peux en exiger une autre. Et si tu reçois rapidement cette lettre, envoie-moi un colis.

Embrasse Renée et Marcel.

 

La dernière lettre de Jacob Reder à sa famille


Drancy, le 14/5/1944

Ma chérie,

Demain, le 15 mai 1944, nous quittons Drancy ; destination inconnue ; mais il paraît que ce sera l’Allemagne. Nous ne connaissons pas notre sort, et qui sait ? Mais je garde l’espoir de revoir certainement mes enfants chéris. Parce qu’à part eux, je n’ai plus rien.

Renée, ma petite fille, je t’ai quittée sans un adieu et, même si en ce moment je ne suis pas loin de toi, ta pensée ne me quitte pas, et je pense sans cesse à toi, où tu es, ce que tu fais, et qui joue avec toi maintenant. Maintenant tu es restée seule et moi je serai loin de toi et tu resteras dans ma mémoire. Ma petite fille, je t’embrasse, et souviens-toi que ton Papa ne t’oubliera jamais. Je t’embrasse très fort et te serre contre moi.


Mon cher petit Marcel,

Malgré tes quatorze ans tu es encore un grand enfant, tu comprendras certainement notre destinée. Sois gentil avec ta maman et ta petite sœur, dis à Renée que Papa pense toujours à elle et embrasse-la bien. Je t’embrasse bien fort, avec l’espoir qu’on se reverra bientôt.


Henriette (Osna),

Pardonne-moi pour tout. Prends bien soin des enfants, et surtout prends bien soin de toi, pour que tu ne tombes pas entre leurs pattes. Je suis ici parce que c’est mon sort. Ils m’ont pris quand je descendais de chez Madame Andze, et s’ils te prennent je n’aurai presque plus rien au monde. Surveille les enfants, cache-toi bien, le mieux que tu pourras.

La douleur de vous quitter, personne ne pourra guérir, sauf la fin de cette maudite guerre. Je t’embrasse et j’embrasse surtout mes enfants chéris.

.................... [phrase illisible].

J’embrasse tous nos amis et, avec un peu d’espoir, bientôt nous nous reverrons.

Je vous embrasse tous.

Jacques

Henriette, n’oublie pas les enfants. Je t’embrasse.

Hier j’ai écrit une lettre détaillée.
Ne te laisse pas attraper par ces criminels.
Je t’embrasse et aussi les enfants.


Genia et Lazar, (ma tante et mon oncle)

Je vous quitte mais certainement pas pour longtemps. J’ai beaucoup à écrire mais je ne suis pas moralement en état de le faire. Je vous dis au revoir, bientôt. Je vous embrasse, et aussi [illisible].

Faites attention à vous.