Lettre de Jacob Reder à sa femme

 

Lettre de Jacob Reder à sa femme
(traduit du polonais le 30 septembre 1996 par Inga Pikielny)


Drancy, le 10/5/1944

Ma chère,

J’ai reçu le colis de nourriture, et aussi le paquet de linge. Quant à moi, je suis à Drancy. C’était le 21 mars, quand j’étais chez Mme Andze, parce que je suis descendu vers cinq heures, et je me dirigeais vers la maison, quand, tout d’un coup, c’était encore avant le pont, deux hommes se sont approchés de moi, et sans rien me demander, m’ont fait entrer de force dans une voiture. Naturellement, je n’ai pas pu me défendre, car j’étais tout seul, et ils m’ont emmené avenue Berthelot, c’est la Gestapo.

Ils m’ont demandé où j’habite et où était ma femme - sur quoi je leur ai répondu qu’elle était en Pologne - et où étaient les clés de la maison. Naturellement, je n’avais plus rien, seulement ils m’ont pris mon argent, jusqu’au dernier centime, et m’ont pas mal tabassé. Ils vous frappent sans merci. J’étais là jusqu’au soir, et ensuite ils m’ont emmené à Montluc, en prison. Là, je suis resté jusqu’au 31 mars et ils m’ont transporté à Drancy, et nous attendons un autre départ, seulement on ne sait pas vers où.

Il est très possible que je reste en France, et que je serai affecté à Infor (?) Todt, et ça, on le saura dans quelques jours. Ici à Drancy la vie est plutôt misérable. On reçoit un morceau de pain par jour, c’est-à-dire 250-300 g, deux fois de la soupe, et le matin du café. Mais ça, ce n’est rien, parce qu’il est temps de s’intéresser à toi et à tous nos amis.

Il faut se surveiller, c’est-à-dire avoir ARSIVE (?) d’Andze, ne pas fréquenter de Juifs, etc., parce qu’ici, il en arrive tous les jours, de tous les coins de France. Et en cas de malheur, il faut être préparé. Cacher sur soi quelques francs, et à tout hasard avoir un colis prêt. Quant à l’argent et aux bijoux, donne-les à un Français, parce que s’ils trouvent de l’argent, ils emmènent tout jusqu’au dernier centime, aussi les bagues et les montres, en un mot tout.

Quant aux enfants, cache-les pour que personne ne sache où ils sont, naturellement chez un Goy. En plus, il ne faut avoir sur soi aucune adresse ni lettre. À moi, ils m’ont même pris une lettre de Heniek. Quant à .................. (illisible). Quant à moi, ne t’inquiète pas, je voudrais seulement que tu fasses ce que je te dis, et surveille bien les enfants.

Si jamais on m’envoie dans Todt, j’irai voir Renée. On m’a pris la carte du tabac............., tu peux en exiger une autre. Et si tu reçois rapidement cette lettre, envoie-moi un colis.

Embrasse Renée et Marcel.