Aron Gridiger

le père de mon père

Roland Gridiger

 

Chaque année, dans le cadre d’un concours scolaire d’histoire juive contemporaine organisé dans un lycée juif de Sydney (Moriah College, 1 500 élèves) à l’initiative de Mme Sophie Caplan, historienne, les élèves de quinze à seize ans sont invités à rédiger un texte en rapport avec l’histoire juive contemporaine, vue sous l’angle familial.

En 2000, la plus jeune des trois filles de Roland Gridiger, Dina, née en 1985, a écrit l’histoire de son père.

 

Roland Gridiger, mon père, est un homme qui a vécu chaque jour de sa vie avec le terrible traumatisme de l’Holocauste. Il est né de Aron et Giselle Gridiger, le 25 janvier 1944, à Nice, une ville du sud de la France.

Aron Gridiger, mon grand-père paternel, était né à Varsovie (Pologne) le 14 juin 1910. Il était l’aîné de trois enfants et disparut pendant la guerre.

Aron, enfant

Giselle Gridiger, ma grand-mère paternelle, est née à Stryj, en Pologne, le 1er juin 1910. Elle était la plus jeune d’une famille de quatre enfants.

Après la Première Guerre mondiale, l’économie de presque tous les pays européens s’était sérieusement dégradée. Après avoir terminé ses études supérieures, Giselle voulut apprendre le métier de dentiste. Mais comme elle était juive et habitait la Pologne (un pays très antisémite), c’était pratiquement impossible. En 1930, son père décida de l’envoyer en France pour étudier à l’Université de Nancy. Elle y vécut pendant cinq ans, afin de terminer ses études. Dès le jour de son arrivée en France, elle rencontra Aron, qui visitait Nancy. Il vivait à Paris. En 1936, ils se marièrent et s’installèrent en France.

Parmi les 350 000 Juifs vivant en France lors de l’invasion nazie, la moitié seulement étaient des citoyens français de souche. Les autres étaient des émigrés qui avaient quitté l’Allemagne depuis peu, ou des réfugiés voulant échapper au nazisme. En 1939, la Seconde Guerre mondiale éclata. Aron était citoyen polonais, mais il s’engagea dans la Légion étrangère en France. Quand les Allemands envahirent Paris, Giselle partit pour Nice où Aron la rejoignit.

À la fin de 1940, comme beaucoup d’autres pays européens, presque toute la France était sous contrôle allemand. À Nice, Aron travaillait comme ingénieur du cinéma, et faisait des films publicitaires.

Giselle et Aron essayaient de vivre aussi tranquillement qu’ils le pouvaient à Nice. Giselle était blonde et ne ressemblait pas à une juive typique, aussi pouvait-elle circuler dans les rues plus facilement qu’Aron. Leur fils Roland naquit le 25 janvier 1944.

Aron et son employeur avaient convenu d’un arrangement : si le patron d’Aron avait besoin de le contacter, il devait téléphoner à la boulangerie locale et laisser un message. Giselle se rendait à la boulangerie tous les jours et récupérait les éventuels messages laissés par les employeurs d’Aron. Environ dix semaines après la naissance de Roland, le 14 avril 1944, Aron reçut un appel lui demandant de venir au studio pour réparer une machine quelconque. Giselle décida de l’accompagner jusqu’à la station du tramway. Alors qu’ils commençaient à se mettre en route, une énorme averse se mit à tomber et le tonnerre gronda. Giselle se souvient qu’Aron lui dit alors : « Pourquoi veux-tu venir avec le bébé et pousser son landau sous cette pluie ? Je vais prendre le tramway et toi tu vas rentrer à la maison ».

Tandis qu’il continuait son chemin vers le studio, Aron fut accosté par un « indic ». Aron était membre de la résistance polonaise. Il fut arrêté et emmené à la prison locale. Giselle était rentrée à la maison pour échapper à la pluie diluvienne. Elle ignorait qu’Aron avait été arrêté, et un peu plus tard elle revint le chercher à la station de tramway. Elle l’attendit ce jour-là de deux heures de l’après-midi à sept heures du soir. Il ne revint jamais.

Les Allemands n’avaient que peu de possibilités en France, et afin de réaliser leurs plans antijuifs, ils avaient besoin de collaborateurs français. En six mois, 42 500 Juifs furent envoyés à Drancy par la police française, puis dans les camps de la mort nazis.

Pendant deux jours, Giselle ignora ce qu’était devenu son époux. Finalement, avec l’aide d’une amie, elle découvrit qu’il avait été arrêté, et qu’il était sur le point de partir pour Drancy. Drancy était un camp de transit situé près de Paris. Comme beaucoup d’autres camps en France, il était sous le contrôle de la police française. En 1941, les premières rafles de Juifs furent commandées par les nazis et exécutées sous le contrôle de la police française. Les victimes étaient transférées à Drancy. Il existe une quantité de témoignages qui prouvent que les gardes français traitaient les prisonniers très durement. Les conditions de vie étaient extrêmement difficiles en raison du manque de soins humanitaires et de nourriture correcte, des conditions d’hygiène déplorables et de la surpopulation.

Pendant le séjour d’Aron à Drancy, Giselle reçut deux lettres de lui, disant qu’il était dans un « camp de travail ». Elle croyait qu’il allait rentrer. Elle continua à se cacher à Nice avec Roland et ne put survivre que grâce aux employeurs de son mari qui continuèrent à lui verser son salaire.

En 1945, lorsque la défaite allemande survint, Giselle reçut, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge, une lettre de sa sœur aînée, Rose. Celle-ci lui apprenait qu’elle avait survécu et qu’elle vivait en Pologne avec son mari Zvi. Cependant, c’est seulement en 1947 que Giselle put aller la voir. Après de très émouvantes retrouvailles, Rose raconta à sa sœur tout ce qui était arrivé à leur famille, et qu’elles étaient les deux seules survivantes de ce qui avait été une famille très nombreuse et très unie.

Elle expliqua à Giselle qu’elle avait prévu de quitter la Pologne aussitôt qu’elle le pourrait, pour se rendre en Palestine. Elle proposa à Giselle de l’accompagner. Mais Giselle continuait à chercher Aron : elle l’avait laissé en France et elle voulait y retourner pour l’accueillir lorsqu’il serait libéré. Elle attendit Aron en France pendant près d’un an encore, mais en vain.

À cette époque, beaucoup d’Européens survivants de l’Holocauste cherchaient à reconstruire une nouvelle vie en Australie. Ce pays leur semblait un pays agréable et c’était un havre très favorisé. Géographiquement, il était aussi loin que possible de l’Europe (et des souvenirs européens), et il offrait à ses citoyens la liberté et la démocratie.

En 1945, le Bureau de Recherches Australo-Européennes publia des listes de survivants, tout comme la Croix-Rouge et l’Australian Jewish Welfare Society (Association australienne de secours pour les Juifs). En août 1945, le ministre australien de l’immigration institua un « Close Relatives Reunion Scheme » (plan de réunion pour les parents proches). Ce plan permettait aux survivants de l’Holocauste qui avaient déjà de la famille en Australie d’être prioritaires pour l’immigration.

En 1948, la Croix-Rouge française n’avait toujours pas réussi à retrouver le mari de Giselle. Celle-ci demanda donc un visa pour se rendre en Australie. Max, le frère d’Aron, y était arrivé juste avant le début de la guerre, en 1939. Giselle espérait qu’Aron saurait se rendre chez son frère. Max adressa une demande au « Close Relatives Reunion Scheme » et envoya les documents nécessaires pour que Giselle et Roland puissent quitter cette Europe déchirée par la guerre.

Une organisation sociale juive, le HIAS (Hebrew Immigration Aid Society = Association hébraïque d’aide à l’immigration), dont l’objectif était d’informer et d’assister les Juifs quittant l’Europe, cherchait dans le monde entier des pays susceptibles d’accueillir les Juifs qui ne pouvaient pas rentrer dans leur patrie.

Le HIAS aidait à financer le voyage des Juifs qui souhaitaient échapper aux horreurs qu’ils avaient subies pendant la guerre en Europe. Le HIAS ne put organiser qu’un seul vol de Bruxelles (Belgique) à Sydney (Australie). Giselle et Roland étaient dans cet avion ; tous les autres réfugiés arrivèrent par bateau, ce qui était un voyage beaucoup plus risqué. Leur voyage aérien dura cinq jours et comme il s’agissait du seul groupe arrivant par avion, la presse était là, photographiant les nouveaux arrivants européens. C’était le 31 août 1948.

Giselle et Roland s’installèrent à Bellevue Hill, où habitait Max. Giselle n’avait pas du tout d’argent et elle ne pouvait pas exercer son métier de dentiste car l’Australie ne reconnaissait pas son diplôme. Elle trouva du travail dans une usine où elle cousait des boutons sur des vêtements. La plupart des Juifs qui arrivèrent en Australie après 1945 ne possédaient rien et beaucoup d’entre eux trouvèrent du travail dans les industries de vêtements et fournitures textiles. Max avait changé son nom Gridiger en « Gray », à cause de la difficulté à prononcer Gridiger dans ce nouveau pays. Pendant quelques années, Giselle changea aussi en « Gray » le sien et celui de Roland.

Après avoir vécu pendant quelques mois dans l’appartement de Bellevue Hill, l’immeuble devint surpeuplé et désagréable. Giselle loua une chambre dans le quartier de Kings Cross. Cependant, Roland ne pouvait l’accompagner. À contrecœur, elle décida d’envoyer son fils à Blacktown, dans une famille juive allemande avec laquelle Max avait pris contact. Giselle pensait qu’en vivant avec cette famille, son fils pourrait acquérir une certaine stabilité dans ce nouveau pays, jusqu’à ce qu’elle puisse parler anglais et trouver un travail à plein temps, afin de gagner suffisamment d’argent pour subvenir à leurs besoins.

Pendant qu’il vivait dans la famille Hertzberg, Roland suivait les cours de l’école publique de Blacktown. Il se souvient que d’autres enfants juifs vivaient chez les Hertzberg. Jusqu’alors, Roland ne parlait que le français. En 1950, lorsque Giselle et Roland furent réunis à nouveau, après une séparation d’un an, elle fut très surprise de constater que la langue principale de Roland était devenue l’allemand. Pendant son séjour à Blacktown, il avait oublié le français, car on ne parlait que l’allemand autour de lui. Cela la contraria, car après tout ce que les Allemands avaient fait subir aux Juifs pendant la guerre, elle ne voulait plus entendre parler leur langue. Peu à peu, Roland oublia donc l’allemand également. Il arrêta même de parler le peu de polonais qu’il connaissait. À partir de ce moment, ils communiquèrent seulement en anglais.

Avec l’aide de Max et de quelques amis, Giselle put louer un appartement à loyer contrôlé au 3/142 Curlewis Street, à Bondi. Ayant amélioré son anglais, elle put trouver du travail chez Farmers, comme aide vendeuse. Roland fut inscrit à l’école publique de Bondi, qui était commode car très près de l’appartement. Giselle travaillait et Roland, livré à lui-même, n’avait personne pour le surveiller. Il se mit à traîner, rencontra des personnes indésirables et devint un voyou. L’école était un fardeau pour lui et il ne voulait pas faire d’effort.

Lorsque Roland eut environ quatorze ans, il commença à s’intéresser à la magie. Comme les Gridiger n’avaient pas beaucoup d’argent, Giselle n’avait pas les moyens d’offrir à Roland des activités extra-scolaires. Contrairement à ses camarades de classe, il ne connaissait rien de « spécial ». Il achetait de petits tours de magie et il s’entraînait pendant ses moments de loisirs. Il aimait le théâtre et il commença à jouer les magiciens. Pendant qu’il faisait ses tours de magie, il apprit également l’hypnose. Les gens aimaient beaucoup le regarder et il se plaisait à les amuser.

Après l’école primaire, Roland suivit les cours de l’école supérieure de jeunes garçons du sud de Sydney. Cette école déménagea pour Maroubra et devint la Maroubra Bay Co Educational High School. Dans cette école, Roland fut élu chef de classe. L’une des tâches du chef de classe était de surveiller les élèves lorsqu’un professeur était absent. Un jour, pour que la classe se tienne tranquille, Roland hypnotisa un étudiant. Pendant que celui-ci était sous hypnose, un professeur s’approcha et Roland fut prié de ne pas recommencer. Mais dans une autre occasion, lors de l’absence d’un professeur, au lieu d’hypnotiser une seule personne, Roland décida d’hypnotiser toute la classe. Lorsque le surveillant arriva et aperçut une classe entière endormie sur les bureaux, il devint évident que le responsable était Roland et il fut exclu de l’école.

Roland fut inscrit à Randwick Boys High où il resta jusqu’à la fin de sa scolarité, en 1963. Alors qu’il passait un examen de géographie nécessaire pour l’obtention de son certificat de fin d’études (appelé plus tard HSC), il eut une crise d’appendicite et dut être transporté à l’hôpital pour y être opéré d’urgence. Il termina les épreuves de l’examen à l’hôpital et, ironie du sort, la seule épreuve qu’il rata fut celle de français. Il s’inscrivit alors dans une classe de droit à l’Université de Sydney.

Giselle avait essayé d’encourager Roland à rencontrer des étudiants juifs. Elle lui conseilla de rejoindre le Betar [mouvement de jeunesse sioniste]. Lorsque Roland eut quinze ans, il s’investit dans la communauté juive et créa une association de spectacles pour adolescents (TAPS), qui organisait des concerts pour la communauté juive. Roland y présentait aussi ses tours de magie. Il participa également aux spectacles de la Great Synagogue Youth (Jeunesse de la Grande Synagogue). Son intérêt et sa curiosité pour le pays d’Israël commencèrent à se développer.

En 1963, Roland rencontra Chaim Diamant, directeur de l’United Israel Appeal (UIA). Ils devinrent amis et Roland s’intéressa à l’UIA. Il organisa la première réunion « Trendsetter » destinée à encourager les jeunes membres de la communauté juive à faire une donation à l’UIA. Lui-même n’avait pas d’argent mais il pensait qu’en organisant une collecte cela apporterait une contribution importante.

Depuis toujours, Giselle avait parlé à Roland de sa sœur Rose, la seule parente qui lui restait, et qui vivait en Israël. Roland ne se souvenait pas d’elle, car il n’avait que trois ans lorsqu’il l’avait brièvement rencontrée en Pologne. Il décida de se rendre en Israël pour y rencontrer Rose et visiter le pays. Le prix du voyage posait problème et Roland voulait dépenser le moins possible.

Il rencontra une jeune fille qui venait de rentrer d’Israël et qui lui parla de la « South African Student Academy » (Académie des étudiants sud africains). Cela lui sembla intéressant. Il prit contact avec les organisateurs et avec leur agent de voyage. Celui-ci lui dit que s’il parvenait à organiser un groupe de dix-sept étudiants, ils pourraient obtenir un tarif de groupe pour le voyage en avion. Les organisateurs lui précisèrent que son groupe serait le bienvenu parmi eux et que ce serait le quatrième voyage organisé par l’organisation. Il réussit à rassembler vingt-trois étudiants et cela lui permit de partir en Israël.

Un peu plus tard, au cours de la même année 1964, Roland devint président de l’Union des étudiants juifs de l’Université de Sydney. En raison du succès du voyage précédent, il organisa la première « Académie des Étudiants Australiens ». Cette année-là, le groupe rencontra David Ben Gourion, alors Premier Ministre d’Israël. Le voyage remporta encore plus de succès que le précédent et Roland continua en 1965, puis en 1966, toujours en tant qu’animateur principal.

Roland estime que ce fut la plus belle réalisation de son existence en raison de l’immense succès qu’elle a encore aujourd’hui. Cette Académie des étudiants a organisé d’autres voyages et Roland est très fier d’avoir donné ainsi à de nombreux jeunes Juifs australiens l’occasion de visiter leur pays. Plus de cinq mille étudiants ont voyagé avec cet organisme depuis l’origine, en 1963.

En 1966, Roland rencontra Ilana Glaser, qui faisait partie de l’Académie des étudiants. En 1969, ils commencèrent à se fréquenter. Cependant, cette académie des étudiants de 1966 devait être la dernière pour Roland, car cette organisation nécessitait beaucoup de travail et cela freinait ses études. Il souhaitait vivement devenir avocat, car il savait combien sa mère s’était dévouée pour lui permettre de faire de bonnes études et il consacra tout son temps à travailler pour obtenir son diplôme.

Roland et Giselle n’avaient toujours pas beaucoup d’argent, mais ils décidèrent néanmoins de quitter l’appartement de Curlewis Street pour un autre dans Forest Knoll Avenue. Tandis que Roland passait ses examens, Giselle avait réussi à économiser un peu d’argent, et ensemble ils travaillèrent pour rembourser l’emprunt.

En mai 1967, Israël et trois pays arabes (l’Égypte, la Jordanie et la Syrie) alertèrent leurs forces armées en vue d’une guerre probable. Le 5 juin, l’armée israélienne attaqua les lignes égyptiennes et investit la péninsule du Sinaï. Ce fut ce qu’on appela ensuite la Guerre des Six Jours. La communauté juive de Sydney forma un Comité d’urgence et les organisations de jeunesse juive formèrent également un Comité d’urgence de la jeunesse. Roland en fut élu président. Il en fut très honoré et voulut aider autant qu’il le pouvait. Le comité aida les bénévoles qui voulaient partir en Israël en obtenant rapidement leurs passeports et tout ce qui était nécessaire au voyage. Le comité organisa une campagne de solidarité, surtout pour aider les volontaires qui partaient, mais aussi pour soutenir Israël. Ils organisèrent une permanence à la Synagogue Centrale, où tous les mouvements de jeunes du pays pouvaient apporter leur aide à Israël.

En 1968, Roland fut surpris que le journal Jewish Times (maintenant le Jewish News) lui demande d’écrire quatre pages chaque semaine pour la promotion du JCA (Appel de la Communauté Juive) qui venait de se former. Bien qu’il n’ait jamais fait de journalisme, il s’acquitta de son travail avec plaisir et écrivit des histoires intéressantes. On mit un photographe à sa disposition qui prit les photos nécessaires à ses articles. Bientôt, on augmenta ses responsabilités et on lui demanda de faire la critique théâtrale, tout en continuant à écrire ses quatre pages hebdomadaires. Ce fut le début de son amour pour la musique et les arts, et Ilana et lui allèrent souvent au théâtre avec plaisir.

En 1969, Roland obtint le droit de pratiquer le métier d’avocat, ayant terminé les cours nécessaires. Il ouvrit son propre cabinet, sous le nom de « Roland Gridiger & Co, Avocats ». Il lui fallait maintenant monter sa proppre affaire. Au bout de quelques années, Giselle cessa de travailler dans son magasin pour pouvoir aider son fils au bureau, quotidiennement, en faisant du travail de secrétariat.

Roland Gridiger et Ilana Glaser se marièrent le 17 décembre 1972. Roland quitta l’appartement où il vivait avec Giselle. Ilana et lui s’installèrent dans un immeuble de Penkivil Street, à Bondi.

Les noces de Ilana et Roland
le 17 décembre 1972

Le 23 juin 1976 naquit leur première fille. Ils l’appelèrent Ariana - prénom dérivé de celui du père de Roland, Aron. La famille quitta l’appartement de Penkivil Street pour une maison située à Rose Bay dans laquelle elle réside toujours.

Le 14 juin 1978, leur seconde fille, Naomi, vint au monde.

Et la troisième naquit le 24 juin 1985. Ils l’appelèrent Dina, en mémoire de son grand-père maternel, dont le nom hébreu était Dov, et qui était décédé trois mois avant sa naissance.

À l’époque où Roland poursuivait ses études de droit, des amis de Giselle s’étaient réunis pour lui faire obtenir une bourse d’études du B’nai Brith. Il avait utilisé cet argent pour acheter un manuel de droit d’une valeur de cinquante dollars. Il avait été très ému de ce geste car il n’avait jamais reçu de dons auparavant. Plus tard, cela l’encouragea à organiser de nombreuses bourses d’études et il continue encore à ce jour.

L’un des clients de Roland fut le partenaire de Mme Marrianne Marthy Frisdane, un professeur de chant très connu. Après le décès du partenaire de Mme Marthy, celle-ci modifia son testament et fit de Roland son exécuteur testamentaire. Elle demanda, dans son testament, qu’une bourse d’études soit prévue pour les chanteurs de moins de vingt-six ans.

En 1982, Roland s’organisa pour que la bourse Marrianne Marthy soit attribuée à un chanteur d’opéra et à un chanteur classique. Il continua ensuite à développer le « Concours de chant australien » qui a distribué plus d’un million de dollars sous forme de prix et de bourses d’études. Il s’agit d’un prestigieux concours de chant pour chanteurs classiques, connu dans toute l’Australie.

[Dina Gridiger énumère ensuite un certain nombre de personnalités qui ont demandé à Roland Gridiger d’être leur exécuteur testamentaire afin d’utiliser leur fortune pour organiser et distribuer des bourses d’études destinées à des étudiants juifs nécessiteux. Les détails seraient fastidieux pour les lecteurs français. Notons cependant la bourse Chaim Komilovicus, en 1984 ; en 1991, la Fondation et le Prix Geraldine Pascal, ainsi que le « Rona Tranby Award » ; en 1996, la bourse d’études Nelly Apt, destinée à un jeune chef d’orchestre, afin qu’il puisse aller en Israël et y enseigner le métier de chef d’orchestre.]

Toutes ces bourses sont administrées par Roland, à titre entièrement bénévole. Il offre son temps, son travail et ses efforts pour répondre aux requêtes qui lui sont présentées et il espère en obtenir d’autres pour aider les artistes doués mais démunis.

En 1993, Roland sentit que le moment était venu de faire des recherches concernant la mort de son père. Il savait depuis toujours qu’Aron avait été tué pendant l’Holocauste, mais il ne savait ni où, ni comment. Bien qu’ayant beaucoup voyagé, il n’avait jamais voulu retourner en France. Il demanda à Giselle de l’accompagner et de partager avec lui l’expérience qu’elle avait vécue. Ce fut difficile pour elle de trouver la force de revenir là-bas, mais elle accepta et revint en France pour la première fois depuis 1948.

Bien que Giselle soit âgée de quatre-vingt-trois ans, elle se souvenait encore de presque tous les détails concernant sa vie en France. À Paris, ils visitèrent l’endroit où Giselle et Aron avaient vécu avant et pendant la guerre, la maison où Roland était né à Nice, et les appartements qu’ils habitèrent lorsqu’il était petit garçon. À chaque endroit, ce fut une expérience à la fois émouvante et enrichissante pour la mère et pour le fils.

À leur retour en Australie, Roland rencontra une historienne, Sophie Caplan. Au cours de leur conversation, il lui dit qu’il ne savait pas ce qui était arrivé à son père pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle fit quelques recherches afin de trouver quelques informations concernant Aron Gridiger, et elle écrivit à Roland pour lui en faire part.

Lorsque Roland reçut cette lettre, sur laquelle était écrit « personnel et privé », il devina de quoi il s’agissait mais il ne put se décider à l’ouvrir pendant plusieurs semaines. Il ne se rappelle plus au bout de combien de temps il put la lire, mais ce fut la première confirmation écrite qu’il ait jamais reçue concernant la mort de son père.

Mme Caplan avait découvert qu’Aron avait fait partie du convoi 73. Ce convoi fut très particulier, car il fut le seul convoi à n’emmener que des hommes, et ce fut également le seul, avec le convoi n° 79, sur quatre-vingt, qui ne fut pas envoyé à Auschwitz. Le convoi 73 fut dirigé sur Kaunas-Reval. Il y avait environ neuf cents hommes, dont seulement seize survécurent.

Ce que Roland ignorait, c’est qu’une annonce avait été publiée dans un journal français pour rappeler le triste anniversaire de la déportation de ce convoi, le 15 mai 1944. À la suite de quoi les familles de ces déportés se réunirent et décidèrent d’organiser un pèlerinage sur les lieux où leurs déportés étaient arrivés. Eve Line Blum, dont le père était également dans ce convoi, pensa qu’un livre devait être écrit concernant tous ces hommes du convoi 73. Elle demanda aux membres de leurs familles d’écrire ce qu’ils savaient concernant leur déporté.

Le livre fut publié sous le titre « Nous sommes 900 Français ». Mme Caplan en entendit parler. Elle se souvint de Roland et du fait que son père était dans ce convoi. Elle le mit en rapport avec Mme Blum en septembre 1999. Ce fut très émouvant pour Roland de prendre contact avec quelqu’un qui avait été dans la même situation que lui : ignorer ce qui était arrivé à son père pendant tant d’années. Mme Blum demanda à Roland s’il voulait rassembler des informations concernant son père, afin de les ajouter au second volume du livre. Il savait qu’il pouvait le faire, mais cela lui demanderait un certain temps. Il en savait toujours si peu, et la seule personne susceptible de l’aider à écrire ce texte était Giselle [âgée de quatre-vingt-dix ans à cette époque].

Roland a donc commencé à écrire l’histoire de son père, Aron Gridiger, afin de l’ajouter au second volume de « Nous sommes 900 Français ». Lorsque Roland était un petit garçon, Giselle et lui ne parlaient pas beaucoup d’Aron. Chaque fois que son nom était prononcé, elle éclatait en sanglots. Roland aurait bien aimé qu’on lui parle de son père, mais il fut élevé avec l’idée que c’était un sujet à ne pas aborder.

Écrire cette histoire est une tâche difficile pour Roland. Il lui est toujours pénible de parler de son père avec Giselle, qui a maintenant quatre-vingt-dix ans. Bien que ce soit toujours douloureux pour elle, depuis quelques années elle a découvert un certain nombre de choses concernant Aron, que Roland ne connaissait pas. Roland voudrait que ce témoignage soit très clair. Il pense que son père mérite que son souvenir soit honoré dans un livre, à côté de celui de centaines d’autres hommes qui ont subi le même sort.

Pendant cinquante-six ans, Roland Gridiger a montré qu’il était un homme très généreux et désintéressé. Il a connu beaucoup de difficultés dans son enfance et n’avait pas beaucoup d’argent. Mais grâce à l’aide et au dévouement d’une mère affectueuse, il a pu réussir. Grâce à son travail, l’enfant pauvre est devenu un homme d’affaires prospère et très respecté, et le chef d’une famille très unie.

Comme cela a été dit ci-dessus, non seulement lui, mais aussi les membres de sa famille peuvent être fiers de ce qu’il a fait de sa vie.

Roland pense que la communauté juive doit être un aspect important de la vie de tous les Juifs. Il est très fier de sa participation à la communauté et très heureux de constater que ses enfants suivent son chemin, faisant tout ce qu’ils peuvent pour cette communauté. En recherchant des informations concernant son père, dont il savait si peu, il a réussi à retrouver beaucoup de choses sur son passé et il a commencé à écrire la biographie d’Aron.

Il est également très fier de sa mère, de la manière dont elle a redémarré sa vie en Australie, et de tout le désintéressement dont elle a fait preuve durant toute son existence. Son but et sa motivation après son immigration furent d’élever son fils et de lui permettre d’avoir une vie meilleure que celle qu’elle avait vécue en Europe. Giselle ne s’est jamais remariée, preuve de son indépendance, mais aussi de sa fidélité totale envers le seul homme qu’elle ait aimé.

Roland et Ilana Gridiger fêteront leurs vingt-huit ans de mariage en décembre 2000. Ils sont très fiers des enfants qu’ils ont élevés et qu’ils continuent à aider et à encourager. Ariana étudie la psychologie et prépare son second diplôme à l’université, et Naomi vient de terminer des études de travail social, effectuant actuellement le stage pratique qui accompagne son diplôme.

En conclusion, je suis extrêmement fière d’appeler cet homme merveilleux, Roland Gridiger, mon père.

Dina Gridiger - 15 ans
(petite-fille d’Aron Gridiger)
Sydney
Année 2000

 


Le B'nai B'rith (B'B') est la plus ancienne et la plus grande organisation juive du monde. Fondée en 1843 aux Etats-Unis, elle compte près d'un demi-million de membres répartis dans 57 pays. Elle possède des bureaux dans les principales capitales occidentales, et notamment à Washington, Londres, Bruxelles et Paris. Elle est présente, en sa qualité d'ONG (Organisation Non Gouvernementale) dans différentes organisations internationales, dont l'ONU, l'Unesco, le Parlement européen. 

Ce nom « B'naï B'rith » signifie en hébreu « Fils de l'Alliance ». La notion d'Alliance est une notion clef du judaïsme. C'est en 1843 que 12 immigrants juifs d'Europe fondèrent le B'B' à New York. Leur but était d'aider les Juifs de cette ville, à établir entre eux, compréhension et tolérance mutuelle.

Tous les courants religieux, philosophiques, politiques qui traversent le judaïsme ont droit de cité au sein de l'organisation. Le B'B' se veut apolitique. Toutes les opinions politiques peuvent être débattues : la tolérance préside à ses débats. Le B'B' est une organisation démocratique : ses dirigeants sont élus.

Les objectifs du B'B' sont de rassembler les juifs, dans la fraternité et l'harmonie, afin de renforcer les liens entre les différentes communautés, combattre l'intolérance raciale et religieuse, soutenir les communautés juives en péril, favoriser la connaissance de la culture juive, subvenir aux besoins des nécessiteux, soutenir l'Etat d'Israël et maintenir la jeunesse juive au sein du judaïsme. (NDLR)


Ce paragraphe est inexact. En réalité, composé exclusivement d’hommes jeunes et valides, ce fut le seul, avec les convois 50, 51, 52, 53 dirigés vers Maïdanek et Sobibor, et avec le convoi 79 parti pour Buchenwald, à ne pas être envoyé à Auschwitz. (NDLR)


Gisèle Gridiger est décédée à Sydney le 9 novembre 2002, alors que nous terminions la mise en page de cet ouvrage. (NDLR)