Maurice Sznejderman

né le 1er mars 1898

Maurice Wallach

né le 15 août 1904

 

Maurice Sznejderman

Mon père, Maurice (Mordka) Sznejderman, né le 1er mars 1898, et ma mère, née Lisa Wallach, le 15 août 1899, tous deux à Varsovie, sont arrivés en France (illégalement) en 1920, tout juste mariés.

Mon père, excellent fourreur, trouva immédiatement du travail. Ma sœur aînée, Henriette, naquit à Paris en 1921. Puis, n’ayant pas d’autorisation d’y résider, mes parents se sont installés à Tours (Indre-et-Loire). Deux ans plus tard, Maman, enceinte, nostalgique de ses parents, se rendit à Varsovie. Ma grand-mère ne la laissa pas retourner en France dans son état, et c’est ainsi que je naquis à Varsovie, le 3 juin 1923. Par la suite, je fus ainsi la seule étrangère de la famille.

C’est à Tours que naquirent ma jeune sœur, Paulette, le 6 août 1927, et mon frère Jacques le 9 décembre 1932.

Pour l’avenir et les études de leurs quatre enfants, mes parents décidèrent de retourner à Paris en 1936. Trop vite, ce fut la fin de notre enfance heureuse en Touraine. En 1939, Papa s’engagea dans l’armée française. En juin 1940, juste avant l’arrivée des troupes allemandes dans la capitale, nous prîmes le dernier train qui quittait Paris pour nous réfugier en Dordogne, à Charpenet La Villedieu, à trois kilomètres de Terrasson où, en 1944, eurent lieu des atrocités.

Mon père et mes deux oncles, Jacques et Maurice Wallach, retournèrent à Paris pour travailler. Avant la débâcle, ils nous avaient rejoints en faisant la route Paris-Brive en vélo, sous les bombardements ; puis ils se déplacèrent à Marseille, Nice, etc. Quant à nous, nous avons vécu assez agréablement en Dordogne pendant près de trois ans, sans problème. Puis, la vie de Bohême commença, avec tristesse et angoisse. En 1943, nous quittons la Dordogne pour Nice.

Au cours de notre séjour en Dordogne, mon père avait été arrêté par des fonctionnaires de l’État français et interné en Corrèze. Je ne me souviens ni où, quand, ni comment. C’était un camp de travailleurs étrangers (T.E.), peut-être à Soudeilles, le « camp de juifs oublié ». J’ai vaguement retenu « Egletons » dans ma mémoire.

Mon père venait donc nous voir en cachette, à pied, traversant champs et bois et retournant de même chez le paysan où il avait été détaché. Il s’évada à temps du camp de T.E.

La route de l’exode continuait. Traqués à nouveau, nous quittons Nice pour Megève, sous occupation italienne. La situation à nouveau devenant critique, nous retournons à Nice le 7 septembre 1943, le jour même où l’armée italienne défilait dans les rues, prisonnière des Allemands. Il fallait fuir encore. Suite du tour de France, nous nous rendons à Chambéry où mon beau-frère (dans la Résistance) nous procure de faux papiers. Mon père et mon oncle, Maurice Wallach, nous rejoindront. Dénoncés, tous deux furent arrêtés par la Gestapo, le dimanche matin 27 mars 1944. Transférés à Drancy, ils ont été déportés le 15 mai 1944 par le convoi n° 73, vers la Lituanie ou l’Estonie. Leur vie s’est tragiquement terminée à l’Est, là où elle avait commencé.

Maman, mes deux sœurs, mon frère et moi, ainsi que Michel et Claudie Wallach, les deux enfants de mon oncle, échapperons de justesse aux hommes de la Gestapo qui nous attendaient dans une traction avant noire, devant notre habitation. Après huit jours d’angoisse, affrontant les risques et avec l’aide d’un courageux Français - un « Juste » - nous allons à la gare de Chambéry et partons en Ardèche, au hasard d’une vague adresse. Nous ne pouvons y rester ; c’était un tout petit village et il n’était pas possible de nous y installer sans compromettre nos hôtes et nous-mêmes. Non loin, à Vals-les-Bains, nous trouvons un hôtel, puis une location chez quelqu’un qui se trouvait être un collabo. (ce que nous avons su plus tard). Nous logerons ensuite chez deux braves institutrices (gaullistes).

Nous fûmes libérés le 19 septembre 1944 par les F.F.L. (Forces Françaises Libres), le jour même ou naquit à Vals-les-Bains, libre, mon premier neveu, Patrick.

Notre appartement à Paris avait été occupé, vidé, saccagé. Nous avons dû engager un procès pour le récupérer, en octobre 1944. De retour à Paris, comme tant d’autres, nous avons été à l’hôtel Lutétia, espérant, en vain, le retour des nôtres. Pendant des années, je n’ai pas pu sourire. J’enviais les familles restées intactes, les gens qui avaient des sépultures à honorer. Je suis allée aussi au “Mémorial des Déportés Juifs de France” en Israël, et moi aussi j’ai pointé le doigt sur le nom de mon père, à Roglit.

Jamais rien ne pourra panser les blessures, les déchirures indélébiles, enfouies, qui resurgissent, douloureuses. Mon père, et tant d’autres, ont été exterminés pour rien, simplement parce qu’ils étaient juifs. Nous entretiendrons la flamme du souvenir et transmettrons à nos enfants et petits-enfants le devoir de la mémoire.

À notre père bien-aimé.

À notre oncle, son compagnon d’infortune.

Nous associons à leur souvenir nos grands-parents, toute notre famille décimée au ghetto de Varsovie, nos jolies tantes polonaises, nos neveux, nièces, cousins, cousines, et tous les martyrs du convoi 73.

Nicole
Paulette
Jacques

 

Maurice Sznejderman et Lisa née Wallach

 

Au second plan, de g. à dr. :
Jacques Wallach, Maurice Sznejderman, un cousin
Au premier plan, de g. à dr. :
Henriette Lisa, Nicole Sznejderman

 

De g. à dr. : Henriette, Paulette, Nicole

 

Lisa Sznejderman et ses fillettes, de g. à dr. : Nicole, Paulette, Henriette

 

 

 

 

 

 

La dernère lettre - Drancy, le 4 mai 1944

 

De g. à dr. : Jacques, Georges et Maurice Wallach

 

Les reçus du carnet de fouille à Drancy

Acte de décès « à Drancy » transcrit le 13 janvier 1950


Effectivement, Soudeilles se trouve à la sortie d’Egletons, vers le nord-est. Le nom de Maurice Sznejderman figure dans Un camp de Juifs oublié - Soudeilles (1941-1942), op. cit, dans la liste que les auteurs de l’ouvrage ont pu retrouver (cf. p. 54 du présent ouvrage). Voici ce qu’on peut y lire concernant Maurice Sznejderman : « Sznejderman, Mordka, dit Maurice. Né le 1-III-1898 à Varsovie. Apatride. Fourreur. Incorporé au 665e le 1-VII-1941 sous le matricule n° 665.126, en provenance du 652e. Laisse son épouse à La Villedieu (Dordogne). Détaché à Servières-le-Château (Corrèze) puis à partir de juillet 1942 à la STMC, à Barsanges, commune de Pérols (Corrèze). Muté au 653e le 1-VIII-1942. Continue de travailler comme tourbier à la STMC. Porté déserteur le 22-X-1942. Repris. Déporté de Drancy vers Kaunas (Kovno) ou Tallinn (Reval) le 15-V-1944. (NDLR)