Karl Karpeles
né le 19 novembre 1899

 

Karl Karpeles est né le 18 novembre à 1899 à Schaerberg, en Belgique. Ses parents étaient Charlotte et Yogi, nés en Hongrie à Czecze. Son père était administrateur dans une grande maison de transports internationaux, Schenker & Cie. Karl était docteur ès sciences. C’était le neveu de mon beau-père, Alolphe Karpelesz, marié en secondes noces avec ma mère, en 1938.

Ils venaient d’arriver d’Autriche à Paris, et ils résidaient dans le quartier de Montparnasse, dans un hôtel près de la Coupole, où la patronne – sans doute antisémite – était méchante. Ils nous rendaient visite deux à trois fois par semaine. Nous passions d’agréables journées ensemble, mais je sentais chez eux, surtout chez son père, une très grande tristesse d’avoir quitté leur pays.

Puis vint l’exode de 1940. Ils se réfugièrent à Montauban d’où nous reçûmes, quelques mois plus tard, une lettre de Karl nous apprenant la mort de son père. Dans une seconde lettre, il était logé avec sa mère à Auvillars (Tarn-et-Garonne), chez une coiffeuse italienne, Mlle Lena Muo. Il demandait toujours de mes nouvelles. Sa troisième lettre nous apprit que sa mère avait pu retourner en Hongrie, dans sa famille. Il n’avait pas pu quitter la France pour la suivre : étant de nationalité autrichienne, il était considéré comme apatride. J’étais une enfant de quatorze ans, et cela me faisait mal au cœur : un sans patrie ! Il était si doux que ma mère le surnommait « le mouton ». Dans cette même lettre, il donnait des nouvelles de la famille et d’amis qui avaient réussi à partir en Amérique.

Un jour de mai 1944, nous reçûmes une lettre : « Mon cher Oncle, ma chère Tante, je suis en route pour le camp de Drancy. Si vous pouvez venir me voir, je serais très heureux - Votre neveu, Charles ». Son oncle venait de mourir, le 10 avril 1944. Ma mère me dit : « Heureusement qu’Adolphe ne l’a pas su ; il en aurait été très affecté ».

Dès réception de cette lettre, nous nous rendîmes à Drancy. Là, deux gardes, accoudés sur une table, nous ont dit : « Partez vite ! Si les Allemands vous voient, vous ne sortirez plus d’ici ! ». Nous avons beaucoup insisté, mais en vain. Nous sommes reparties, le cœur gros.

Je crois que Karl est d’abord passé par Bordeaux , sans doute programmé par l’ignoble Papon. À la fin de la guerre, nous reçûmes une lettre de sa mère, nous demandant si à Paris nous avions des nouvelles à lui donner. Malheureusement, en 1945-1946, nous ne savions rien de plus.

Un peu plus tard, nous avons reçu une lettre de sa logeuse, disant qu’elle espérait le revoir et que nous pourrions être réunis. Vers 1957 ou 1958, je me suis rendue à Auvillars. Le secrétaire de la mairie m’a expliqué : le départ de ces malheureux… une douzaine : une ordonnance était arrivée la veille, disant de réunir les familles juives le lendemain matin, sur la place de l’Église. Il manquait trois personnes, dont Karl. Sa logeuse voulait le garder. Mais quinze jours plus tard, certainement à la suite d’une dénonciation, ils sont venus le chercher, disant à sa logeuse : « Nous savons qu’il est ici !! ». Elle s’est acharnée pour ne pas le laisser partir, mais en vain…

Au cours de l’entretien avec le secrétaire de mairie, il me dit : « Mlle Muo avait beaucoup de peine. Tout le village a eu peur qu’elle ne devienne folle de chagrin. Un homme si gentil, si effacé… »

Georgette Srednicki
sa cousine

C’est exact : son nom figure sur la liste des déportés ayant quitté Bordeaux pour Drancy le 13 mai 1944, publiée par l’Association des Fils et Filles des Déportés Juifs de France en mars 1988 (NDLR).