Isaac Bernstein

né le 2 juillet 1889

Maurice Bernstein

né le 22 avril 1916

 

Une belle photo, datant de 1939 ou 1940, montre ensemble mon arrière-grand-père, Isaac Bernstein, et son fils, mon grand-oncle, Maurice Bernstein, le premier volontaire dans la Défense Passive, le second en uniforme de la Marine Nationale, engagé déjà depuis plusieurs années. Leur fierté et leur sens du devoir sont évidents.

Isaac Bernstein est né le 2 juillet 1889 à Jassy en Roumanie, fils de Chaïm et Rébecca Bernstein. Il épouse Ida Goldstein, fille de Joseph et Bune Goldstein, également originaire de Jassy. Émigré en France, le couple établit son foyer dans ce pays et Isaac commence à exercer son métier de tailleur. Le premier de leurs enfants, Débora, naît le 7 janvier 1912, suivie par Sara en 1913, Rébecca en 1915 et, finalement, leur seul et unique fils, Maurice, né le 22 avril 1916.

Naturalisé en 1923 et vendeur d’articles de confection, principalement de vêtements pour enfants, au Carreau du Temple, à Paris, Isaac développe son commerce et connaît une certaine prospérité. Il fait construire un pavillon en banlieue mais la grande crise de 1929 commence à sévir en France et il est contraint de le vendre. La famille reste au 30 rue Charlot, dans le Marais, au sein de la communauté juive.

Quelque temps après la fin de ses études, et pour des raisons qui me sont inconnues mais que j’attribue volontiers à un sens de l’aventure, Maurice s’engage dans la Marine Nationale. Il visite, entre autres, les Bermudes, les Bahamas, Madagascar et surtout l’Afrique du Nord. Ses lettres à ses sœurs leur font découvrir un monde merveilleux et fantastique. À une époque aussi peu médiatisée par rapport à la nôtre, les photographies qu’envoie Maurice en accompagnement de ses lettres sont un aperçu d’autres terres et cultures, tellement éloignées du quotidien d’une modeste famille juive vivant avant l’avènement du grand tourisme qu’elles doivent paraître presque irréelles. Mais les belles expériences que traduisent ces lettres et photographies sont vraies et Maurice les partage avec ses sœurs admiratrices. Aussi distants soient-ils, frère et sœurs sont liés par une complicité qui est le signe d’une vie familiale chaleureuse. Maurice finit chaque lettre en embrassant Toby… son chien. Mais ses lettres reflètent aussi les incertitudes de l’époque. L’une d’elles, écrite au début de 1939, fait allusion à Hitler et au désir de Maurice que celui-ci nous « laisse tranquille ». Naïveté ou ignorance ? Qui peut prédire l’avenir ou les péripéties de la politique et les affaires des hommes et des nations ? Comme en témoigne le sort de son dernier vaisseau, un sous-marin, le Sidi Ferruch, coulé en 1942 au large de Casablanca… par les Alliés. Mais Maurice est ailleurs.

 

Le jour de l’Armistice, Maurice se trouve à Toulon où il photographie une flotte paisiblement au mouillage. Démobilisé vers la fin de 1940, il ne peut regagner Paris en zone occupée à cause de la ligne de démarcation. Hébergé au Centre d’accueil de Vinimes, en Savoie, il travaille pendant quelque temps à Chambéry puis, à une date ultérieure que j’ignore, réussit finalement à rentrer rue Charlot. Sa mère meurt en 1943, suite (selon une de ses filles dans une lettre écrite après la guerre) à des « chagrins ». Maurice est à Paris en mai 1944.

De l’arrestation de mon arrière-grand-père et de mon grand-oncle, je connais très peu de chose. Il paraît que Maurice fut arrêté un soir, lors d’une sortie en ville, activité interdite par les lois antijuives. Avec son adresse en poche, les autorités vinrent arrêter son père le lendemain après-midi. Les trois sœurs, de visite le matin, échappèrent de justesse. Incarcérés ensemble à Drancy, ils choisirent d’intégrer le convoi n° 73 et furent assassinés pendant sa triste épopée. Le lieu et la date précis de leurs morts restent toujours inconnus.

Après la guerre commencèrent les quêtes et recherches d’informations pou-vant apporter de la lumière sur le destin des deux hommes. Appels à la Croix-Rouge et autres, tout reste infructueux jusqu’au jour, en 1946, où la famille reçoit une lettre du Ministère des Anciens Combattants leur faisant savoir qu’ils ont été déportés « en direction de KOVNO REVAL ». Dans cette même lettre-modèle (un blanc étant laissé pour les renseignements individuels des déportés) je lis cette phrase approuvée par la bureaucratie et que doit lire chaque requérant : « Il est notoire que des destructions massives ont eu lieu dans les camps ».

Les quelques lignes qui précédent permettent à Isaac et Maurice, je l’espère, de retrouver leur identité et leur dignité et de les faire sortir de l’obscurité pour vivre éternellement dans notre mémoire. Ce faisant, je rends hommage à celles et à ceux qui m’ont donné cette possibilité de m’exprimer. Je rends hommage aussi à ma grand-mère, Débora Avrachkoff née Bernstein, mère, grand-mère et arrière-grand-mère, fille et sœur d’Isaac et Maurice Bernstein, qui aurait apprécié, non sans douleur, de voir ainsi revivre son père et son frère.

Sean Edwards

Légende première photo : Isaac et Maurice Bernstein en 1939/1940

Isaac et Maurice Bernstein - Lettre du Ministère
des Anciens Combattants

 

Maurice Bernstein, engagé dans la Marine nationale

 

Isaac Bernstein et sa femme Ida en 1930

 

Le jeune Isaac Bernstein

 


Avant la loi du 15 mai 1985, le "dernier domicile connu"
des déportés internés à Drancy était... Drancy.

 

Livret de famille d'Isaac Bernstein