Max (Marc) Bursztejn né le 19 juin 1906 |
Max Bursztejn à La Valbonne (février 1940)
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Mon père, Max Bursztejn (Bursztyn Marc) est né en 1906 à Varsovie, fils d’une famille de neuf enfants. J’ai très peu d’informations sur sa famille, sachant seulement que ses parents émigrèrent aussi en France, ainsi que des frères et sœurs, mais j’ignore si toute la famille s’est retrouvée à Paris et en quelle année. Je pense qu’il est arrivé en France vers 1925. Bien qu’il ait travaillé dans un milieu juif, dans la chapellerie, il s’est vite adapté et a appris la langue, car je ne me souviens pas d’une autre langue que le français avec mes parents. En 1930, il épousa ma mère, Anna Hossman, originaire, elle aussi, de Varsovie, et arrivée en France en 1920 à l’âge de dix ans. Je naquis en 1934, enfant unique, et je garde de ces lointaines années un sentiment de très grande tendresse, d’atmosphère familiale très chaude, malgré une situation difficile : ma mère, malade du cœur, était de temps à autre hospitalisée. J’étais alors accueillie chez un oncle ou une tante, frère ou sœur de ma mère, entourée de nombreux cousins et cousines, devant m’adapter à une vie familiale très différente de la nôtre. Bien que mes parents aient dû vivre des moments très pénibles, je ne me souviens pas d’avoir ressenti cela dans la vie familiale, dont le souvenir calme et heureux m’a suivie au long des années. Le sourire de ma mère est resté vivant en moi. Le décès de ma mère, en juin 1939, nous sépara, mon père et moi, pour une longue période. Habituée à des séjours plus ou moins longs dans la famille, je n’ai certainement pas été très étonnée de cette nouvelle séparation dont on ne me dit pas la véritable raison. En ce temps-là, on évitait de confronter les enfants avec les réalités de la vie, et je fus maintenue dans l’idée que ma mère était à l’hôpital. Je fus accueillie dans la famille d’un cousin de ma mère, Max Elbaum. Sa fille, Fernande, de dix ans plus âgée que moi, me fut une réelle providence par l’affection et l’attention qu’elle me prodigua et je tiens ici à honorer sa mémoire, ainsi que celle de ses parents, à qui je dois tant.
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En novembre 1939, après la déclaration de la guerre, mon père s’engagea dans la légion étrangère, où il prit part, entre autres, à la bataille de Narwick. Un souvenir de cette période est ancré en moi. C’est la fête de la Pâque juive, en 1940. Toute la famille est réunie. Mon père a une très brève permission et je ne quitte ses genoux que pour aller voir l’heure à la pendule de la cheminée, et demander combien de temps il va encore rester. Après l’armistice, démobilisé, il revint à Paris où, assez rapidement commença une nouvelle bataille : la survie pendant l’Occupation allemande. Ce furent d’abord, en mai 1941, les convocations envoyées aux Juifs étrangers de se présenter à la préfecture. Mon père essaie de persuader les proches restés à Paris de ne pas y aller, sans résultat, et il est le seul à ne pas s’y présenter. Grâce à cette décision, nous nous retrouverons plus tard et vivrons à nouveau ensemble pendant un an et demi. Voulant venir me voir à Clermont-Ferrand, où la famille de mon oncle s’est installée après l’exode, il est arrêté à la ligne de démarcation, réussit à s’enfuir, vient me voir et repart à Paris. Au début juillet 1942, je revins à Paris vivre avec mon père. Peut-être espérait-il reprendre une vie de famille normale, après trois ans de séparation. Finalement, instruite du décès de ma mère, je fais la connaissance de ma nouvelle famille : l’amie de mon père et sa petite fille de deux ans plus jeune que moi. Quelques jours d’adaptation à ma nouvelle situation, et arrive le 16 juillet et la rafle du Vél d’Hiv. Jusqu’alors, seuls les hommes ont été arrêtés au cours des rafles. Mon père ayant eu vent de celle-ci, s’est caché. Mais son amie, sa fille et moi sommes emmenées au petit matin au Vél d’Hiv. Nous y restons trois ou quatre jours, jusqu’au moment où l’ordre est donné de libérer les veuves et les femmes de prisonniers. “On” a encore des égards. L’amie de mon père fait partie de cette catégorie, mais elle refuse absolument de sortir sans moi. Je me souviens qu’elle s’est beaucoup démenée pour arriver à me faire libérer, et grâce à elle, entre autres, je suis là. Commence alors cette horrible période d’angoisse, d’effroi. Il faut se cacher, trouver où dormir la nuit, et après quelque temps, mon père arrive à contacter une filière pour me cacher à la campagne. Je suis en Vendée, dans une famille très gentille de catholiques pratiquants. L’école de l’endroit est religieuse, dirigée par des sœurs. Personne ne doit se douter que je suis juive, que ces prières récitées à haute voix me sont inconnues. Je mets tous mes efforts pour capter ces syllabes qui finiront par devenir un texte cohérent. Il y a aussi ces très grands livres (ils me paraissaient immenses) où le paradis et ses anges me paraissaient si beaux, et les feux de l’enfer réservés aux infidèles si effrayants ! En fait, pourquoi être juif ? C’est si pénible ; on est pourchassé, à la merci du premier agent dont la simple silhouette me fait trembler et courir me cacher. Que signifie être juif ? Je l’ignore totalement. Le seul souvenir se rapportant à la vie juive est ce fameux jour de la Pâque, lors de la permission de mon père. Aussi, lorsqu’à la fin de l’année scolaire, la Mère supérieure me dit qu’il faudrait me faire baptiser, je n’ai aucune hésitation, et j’écris à mon père que je veux me faire baptiser ! Je ne sais pas s’il eut un moment d’hésitation, mais il me fit revenir immédiatement à Paris. Malgré le danger que j’ai couru par la suite, je lui suis infiniment reconnaissante d’avoir agi comme il l’a fait. Ce fut pour moi, bien plus tard, lorsque je fus en mesure de comprendre, un acte de foi, une appartenance absolue au Judaïsme, bien que mon père ne fût pas du tout religieux et que je n’aie aucun souvenir de la maison ayant trait au Judaïsme. Nous avons donc à nouveau vécu ensemble de l’été 1943 à l’hiver 1943-1944. Où travaillait-il ? Comment se débrouillait-il pour nourrir sa famille, pour passer au travers des rafles ? Je ne me souviens que de son regard aimant, triste et inquiet. |
Max et Anna Bursztejn |
Mes parents et moi, en 1937 |
Une nuit de l’hiver 1943-1944, dont j’ignore la date exacte, ils sont venus nous prendre. À nouveau, l’amie de mon père me sauva. Je sortais tout juste d’une jaunisse et elle fit valoir une ordonnance du médecin. Ils décidèrent de revenir me prendre le lendemain avec une ambulance. Elle-même fut emmenée, mais réussit à convaincre un agent de lui sauver sa fille, qu’il confia ensuite à des voisins, qui l’adoptèrent par la suite. Entre temps, mon père réussit à s’enfuir par la fenêtre du troisième étage. Je ne sais où il se cacha, ni où il habita par la suite. Il vint me voir plusieurs fois. J’avais été recueillie par une ancienne voisine, à présent concierge de l’immeuble voisin. Il réussit, même dans ces conditions, à contacter à nouveau un groupe clandestin pour me faire rejoindre ma famille à ClermontFerrand, et sa tristesse fut grande, lorsqu’à sa visite suivante il apprit que j’avais refusé de partir ! Tête d’enfant… Démuni d’argent, il était obligé de travailler, et c’est à son travail qu’il fut finalement arrêté et interné à Drancy, le 13 avril 1944. Il a certainement espéré et essayé jusqu’au bout de se sauver, car il ne m’a fait savoir son arrestation que le 14 ou le 15 mai. Je m’en souviens, car le 13 mai est le jour de mon anniversaire et il demanda à la personne qui vint me l’annoncer de me souhaiter un bon anniversaire ! Ce fut son dernier message. Après la guerre, je réintégrai le milieu familial, très exactement celui des cousins de ma mère, qui ont été et resteront pour moi “mes oncles” Ozer et Max Elbaum. En 1951, je suis montée en Israël et j’ai encore longtemps espéré entendre le nom de mon père au cours d’une émission à la radio de l’époque, qui a duré des années : “Recherche de parents”. Je n’ai finalement retrouvé sa trace que sur les listes de Serge Klarsfeld, à Roglit, où nous nous rendons chaque année, mon mari et moi, le jour de la Shoah. Denise Ilana Kapota
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États de service de Max Bursztejn |
Attribution du titre de déporté politique |
Max Bursztejn (à g.) et Marcel Elbaum, fils d’Ozer Elbaum La Valbonne - décembre 1939 |
Fiche du carnet de fouille à l'arrivée à Drancy, le 13 avril 1944 |