Jean Skosowsky-Serrad

né le 3 février 1912
décédé le 1er juin 1977

 

Le Docteur Jean Skosowsky-Serrad, né à Metz le 3 février 1912, survivant du convoi 73, est décédé le 1er juin 1977. Il avait adressé ce témoignage à un membre de l'Amicale de Neuengamme et de ses kommandos, il y a plusieurs années.

Nous adressons nos remerciements à M. Jean-Pierre Brossard, Président de l'Amicale de Neuengamme, qui nous a remis ce document. Nous tenons à exprimer notre profonde et très sincère reconnaissance et nos remerciements à Mme Marianne Serrad, qui a bien voulu nous autoriser à le publier, et qui nous a également transmis la photo de son père.

 

15 novembre ?

Mcule 59954

Mon cher camarade,

Autant qu’il m’en souvienne, après l’évacuation de Reval Tallinn, nous avons été transportés par mer à Dantzig et de là au camp de Stutthof. Nous n’étions plus que 35 sur 900, les autres ayant tous été exécutés, 600 à Kaunas, les autres progressivement à Tallinn.

De Stutthof, après un mois, nous sommes partis pour Neuengamme, une trentaine, avec des Baltes de diverses origines. Arrivés à Neuengamme en septembre, on nous a attribué des numéros dans les 59900. Les Français qui s’y trouvaient déjà devaient porter un numéro dans les 30000.

Partis à Aurich fin septembre, début octobre, 2000, pour creuser des fossés antichars. Nous n’avons pratiquement jamais vu le camp de jour. Levés de nuit, café (!) pain zu Fünf, nous partions à pied de Georgsheil, où se trouvaient les baraques, jusqu’à un petit train qui nous amenait près d’Aurich. Traversée de la ville en tenue de carnaval et marche forcée jusqu’au lieu de travail. Pelle et pioche jusqu’au soir et retour. J’avais calculé et estimé la distance à douze kilomètres environ, qui s’est avérée exacte, car j’y suis retourné.

Dr Jean Skosowski - Antibes (1942)

Le commando a été décimé par la dysenterie et la fatigue, car nous ne sommes rentrés que deux cent. J’ai eu la chance, étant près de lâcher pied, d’être appelé, grâce à des amis belges, à être médecin de ce lieu infernal. Les consultations, au départ et au retour de camarades épuisés, étaient un véritable cauchemar, car l’entrée au Revier était sévèrement contingentée et l’on n’y acceptait que des mourants. Il m’a quand même été possible de planquer des camarades à l'abri et au repos.

Les médicaments étaient inexistants, on en était réduit à imaginer des thérapeutiques avec les moyens du bord.

La paperasserie ne perdant jamais ses droits, il fallait tenir à jour la liste des décès avec pour diagnostic obligatoire : arrêt du cœur.

Vous pourrez trouver la description de cet enfer dans le livre d’Omer Habaru, Les triangles rouges, Éditions Fasbender, Arlon, 1946, pages 74 à 110.

Jean Serrad


Le Dr Serrad, pas plus que quiconque, ne savait alors que les déportés restés à Kaunas n'ont pas été exécutés dès leur arrivée, contrairement à ce qu'à préendu un faux témoin local. Cf. à ce sujet « Nous sommes 900 Français I », p. 35-36. (N.D.L.R.)

Pain “zu Fünf” : un pain pour cinq hommes. (N.D.L.R.)

“Le Revier, appelé lazaret dans certains camps, est tout à la fois : infirmerie et hôpital, lieu de convalescence et de sélection. Là encore plus qu'ailleurs, la vie se joue à pile ou face. Elle dépend de l'état du malade, de la nature des soins reçus, de la compétence du personnel… Elle se trouve menacée en permanence par la fantaisie des S.S. ou la malveillance de brutes, planquées dans différents services en se prévalant de titres usurpés.” In La Déportation, éd. F.N.D.I.R.P., Paris, 1994, p.132. (N.D.L.R.)

Cet ouvrage dont le titre exact est Les Triangles rouges racontent - Récits concentrationnaires, a été réédité en 1974 par les Éditions du Sorbier, Arlon. Il est épuisé en librairie, mais on peut le consutler dans diverses bibliothèques, notamment celles des Musées de la Résistance et de la Déportation. (N.D.L.R.)

 

Extrait de la lettre manuscrite du Dr Serrad