Sénia Juptzer né le 27 septembre 1913 |
Mon frère Salomon (dit Sénia) Juptzer est né le 27 septembre 1913 à Odessa, en Russie, comme nos parents, Abraham Juptzer et Thérèse Aptickar. Notre père Abraham (en France : Abram, André) Juptzer, est ingénieur, après avoir effectué ses études à Leipzig (Allemagne), et notre mère exerce la profession de sage-femme dans cette même ville. Sénia et ses parents, de religion juive arrivent en France, à Paris, en 1922, à la suite des persécutions religieuses dans leur pays d’origine. Dès lors, notre père travaille comme mécanicien chez Renault, avant de devenir chef d’entreprise, et notre mère devient infirmière. Je naquis un peu plus tard, en 1931. La scolarité de Sénia est brillante et il obtient avec succès son baccalauréat au Lycée Rollin. Pour perfectionner son français, il bénéficie de cours particuliers à domicile. Notre père assiste à ces cours et en profite pour améliorer ses connaissances de la langue française. Sénia poursuit ses études dans une école dentaire, avec sa fiancée, Lucie Bishay, afin d’être stomatologue. Ils se sont rencontrés par l’intermédiaire de leurs parents à Saint-Mandé. Leurs parents respectifs sont des amis d’enfance, car ils sont originaires de la même ville russe. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, Sénia travaille dans un cabinet dentaire à Paris, qu’il espérait reprendre ensuite. À la déclaration de la guerre, en 1939, Sénia est mobilisé et envoyé au front, avec le 246e régiment d’infanterie. Le véritable nom patronymique de Lucie Bishay est Bitchatch. Elle est fille unique, et son père était ingénieur en Russie. Elle quitte la France en 1940, à l’âge de vingt et un ans, pour vivre à Brighton, aux États Unis, accompagnée de ses parents, afin de rejoindre leur famille. Le 15 juin 1940, à Verdun, Sénia est fait prisonnier par les Allemands, sans que sa religion soit portée à la connaissance de ces derniers. Après la traversée de la France et de la Belgique dans un wagon à bestiaux, Sénia arrive sous le matricule 8396 FZ (IA) d’abord au Stalag IA, puis au Stalag XIA I BATL, le 28 mars 1941, implanté à Altengrabow, en Allemagne. Cette ville se trouve à environ 120 km à l'ouest de Berlin, entre Postdam et Magdebourg. Sénia travaille dans les fermes avoisinantes, à la construction d’une route, puis comme interprète dans le stalag. Connaissant plusieurs langues étrangères, notamment l’allemand et le russe, il peut facilement communiquer avec les prisonniers et les militaires allemands. Dès lors, il participe activement à un réseau de résistance organisé par des prisonniers pour lutter contre la guerre, comme chargé de mission de troisième classe, avec le grade de sous-lieutenant. Il s’agit du réseau Charrette, dirigé par Michel Cailliau, dont il a fait la connaissance. À cette période, Sénia, prisonnier au stalag, entre en contact avec sa famille par le biais de lettres à ses parents et ses cousins qui vivent à Toulouse, en zone libre, depuis juin ou juillet 1940, avec moi, cachée à Jurançon, au préventorium « Le Nid béarnais », avec sa fiancée Lucie et ses amis. Sénia conserve cette abondante correspondance dans une pochette de toile réalisée à la main par un ami prisonnier. Ces lettres décrivent le climat de l’époque, la vie quotidienne en France, en Allemagne et aux États Unis. En 1943, Sénia s’évade du stalag en se faisant porter malade, grâce à l’aide d’un camarade. Il part pour Paris, dans un train sous forme de convoi sanitaire. Il rencontre le gardien de la cité, qui lui apprend que l’appartement de ses parents, à Saint-Mandé, est réquisitionné par les Allemands, et qu’une autorisation du commissariat est nécessaire pour le visiter. Après avoir fait le tour de cet appartement (où je vis actuellement) et constaté que rien n’a été abîmé, il rejoint sa famille, à Toulouse, par le train. Il continue ses activités de résistant dans le même réseau. Sa mission consiste essentiellement à faire passer en Espagne des personnes dont la vie en France est compromise par la guerre (Juifs, non juifs, résistants…). Malheureusement, dans la matinée du 9 mai 1944, Sénia est arrêté par la Gestapo chez une amie non juive, à la suite d’une dénonciation comme Juif par un homme criblé de dettes de jeux. Chaque dénonciation rapportait une prime à ce dernier. Ensuite, il est transféré au camp de Drancy. Au moment de son départ, Sénia fait part de son sort par une lettre terrible destinée à Mme Delmas, secrétaire de notre père, à Paris. Notre père continuait son activité professionnelle à Paris, en déléguant ses pouvoirs à deux personnes, dont Mme Delmas. Il travaillait aussi sur Toulouse. Sénia fait partie du convoi 73, parmi les 878 hommes envoyés à Kaunas (Lituanie) et à Reval (Estonie). Il nous laissera pour héritage ses lettres, conservées dans leur pochette d’origine, et la machine à écrire servant à la Résistance. Lucie Bishay apprend l’arrestation de Sénia par ses parents, et elle conservera longtemps l’espoir qu’il reviendra. En effet, nos parents et les siens ont continué à s’écrire, après la fin de la guerre, mais ces lettres n’ont pas été conservées. La Médaille de la Résistance française a été attribuée à Sénia, à titre posthume, par décret du 3 août 1946 (Journal Officiel du 13 octobre 1946). Sénia aimait la musique, la danse, le cinéma et souhaitait ouvrir avec moi le bal de mes dix-huit ans. Nous avions dix-sept ans de différence d’âge. Il m’a élevée en partie, m’a encouragée dans mes études et dans la volonté de réussir. J’ai toujours présent dans ma mémoire l’exemple qu’il m’a donné pour ma conduite dans la vie. Yvette Kamieniecki née Juptzer |
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