Fred Abraham né le 2 juin 1927 |
C’est en septembre 2001 qu’au retour de vacances en Espagne nous avons décidé, mon mari et moi, de nous rendre à Eymoutiers, petite ville de la Haute-Vienne. Bien que cette douloureuse période de la vie de ma famille n’ait que très rarement été évoquée chez nous, je savais que c’était dans cette ville du Limousin que mon père avait vu pour la dernière fois, en 1940, son père Louis, sa tante Toni et son neveu Frédy. Il était venu demander l’autorisation écrite à son père pour pouvoir se marier, et apporter une montre à Frédy à l’occasion de sa Bar-Mitzvah. Nous avons été accueillis par le maire-adjoint, M. Jean-Pierre Faye et grâce à lui, en quelques heures, nous avons découvert dans quelles circonstances ces trois membres de ma famille ont pris le chemin de la déportation. Arrivés en 1940 en provenance de Luxembourg, via Panazol (banlieue de Limoges), ils s’étaient installés à Eymoutiers où ils vivaient une vie presque normale, tranquille. Les enfants pouvaient aller à l’école et les fêtes religieuses étaient célébrées en toute quiétude. Les 6 et 7 avril 1944, les chars de la division B de l’armée allemande, commandée par le sinistre Général Brehmer, encerclent Eymoutiers et raflent plusieurs dizaines de réfugiés juifs, sans qu’il soit besoin de lettres de dénonciation, aidés en cela par les listes officielles de la ville reprenant leurs noms et adresses. Frédy était alors apprenti menuisier-ébéniste. Il se trouvait sur le lieu de son travail au moment des faits. Il aurait pu s’en échapper puisqu’une voisine avait proposé de le cacher, mais son grand-père, trop confiant probablement, pensait que la famille devait rester ensemble. Ils partirent donc tous trois pour ne jamais revenir. Mon grand-père, Louis Abraham dit Brahms, était né le 12 octobre 1874 à Oschersleben et vivait à Luxembourg depuis le début des années 1900. Il avait trois fils : Max, engagé volontaire dans l’armée belge à Londres fin 1940, membre des services spéciaux britanniques s’occupant principalement de renseignements militaires et d’opérations de résistance dans les pays occupés, parachuté en Belgique en avril 1943, premier lieutenant à la Mission militaire luxembourgeoise en 1945. Il quittera l’armée en 1957 avec le grade de major. Il était Directeur de la Protection Civile jusqu’à son décès à Luxembourg en 1979. Fred, exilé au Brésil et décédé à Luxembourg en 1995 ; et Charles, mon père, encore en vie aujourd’hui et qui, pendant son exil, a servi sous le drapeau américain aux Philippines, au Japon, en Allemagne et pour terminer, à Luxembourg. Ma tante, Toni Herschtritt, première épouse de Max et mère de Frédy, était née à Berlin le 23 mars 1906. Elle vivait à Luxem-bourg depuis son mariage. Mon grand-père et ma tante sont tous deux partis par le convoi 72 en direction d’Auschwitz. Mon cousin Frédy, quant à lui, était né le 2 juin 1927 à Luxembourg. Il est parti par le convoi 73. Nous n’en connaissons pas la raison et nous ne savons pas si son voyage s’est terminé à Kovno ou à Reval. Des habitants d’Eymoutiers qui se souviennent de lui aujourd’hui en parlent comme d’un charmant garçon, grand, mince, jouant au football dans l’équipe locale et correspondant sportif d’un journal régional, l’ « Appel du Centre ». Nous n’avons pas d’autres informations. L’histoire n’a pas de fin. Nous continuons nos recherches et venons de recevoir d’un habitant d’Eymoutiers, Jacques Bardaud, qui était son ami, la photo de Frédy ci-jointe où on le voit en compagnie de son grand-père. Que d’émotion… Marion Rivollier-Brahms |
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