Georges Lévy né le 9 janvier 1900 |
Notre famille est originaire de Lorraine du côté de mon père et d'Alsace du côté de ma mère. Mon père est né à Forbach (Moselle), en 1900, d'une famille tradionaliste juive de Lorraine, puis il a fait ses études à Nancy pour devenir médecin accoucheur en 1928, année au cours de laquelle il s'est marié avec Odette Willard, née en 1907 à Mulhouse. Ils ont eu deux enfants : Francis, né le 23 mai 1930, et Monique, née le 21 juin 1932. Pour mes parents, la vie était facile. Mon père travaillait beaucoup pour soulager ceux qui souffraient ; pour lui, la médecine était un sacerdoce. En 1940, la guerre éclate, mon père est mobilisé. Il était médecin capitaine et son régiment s'est replié dans le Lot et Garonne. À la débâcle, maman, au volant de la voiture, a conduit ma grand-mère, mon frère et moi pour rejoindre mon père. Démobilisé, mon père a travaillé toute la guerre jusqu'au mois d'avril 1944 comme médecin de campagne près d'Agen. En 1943, la Gestapo s'est installée en zone libre, à Agen, où nous vivions. Nous habitions une maison que nous avaient louée des pétainistes, mais qui étaient très humains et gentils avec nous. C'est le 13 avril 1944 que mon père a été pris à Port Sainte Marie, à vingt kilomètres d'Agen. Il y avait là un pont qui enjambait la Garonne et, pour aller à son travail, il devant le passer. Ce jour-là, par un méchant hasard, il partait se faire faire une fausse carte d'identité, puisque la sienne portait la mention JUIF. Il a vu qu'il y avait des soldats allemands, de l'autre côté du pont, mais il s'est dit qu'il ne craignait rien, et il a passé le pont. Mais on recherchait un maquisard qui, lui, a grimpé dans un arbre pour échapper... Mon père a passé le pont d'un bon pas. Arrivé au bout, la Gestapo lui demande ses papiers et voit qu'il est juif. Il est arrêté et conduit à la prison d'Agen. Comme il était également médecin dans le maquis, il a dû subir des interrogatoires pour qu'il dénonce les gens du maquis. Refusant de parler, il a subi la torture de la pendaison par les mains et le bain glacé ensuite. Il était debout et ne comprenait pas ce qui lui arrivait, lui qui était "français de religion israélite". Maman a eu très peur. Elle a su tout de suite ce qui était arrivé à Papa et elle a décidé de nous cacher, mon frère et moi. Huit jours plus tard, elle était arrêtée à son tour. Elle a donc été emprisonnée à la prison d'Agen, dans une cellule jouxtant celle de mon père. Elle l'entendait gémir ; ils avaient du mal à communiquer, et ne pouvaient le faire qu'en donnant des coups sur le mur. Papa de plaignait, souffrait des tortures... C'était la veille de l'anniversaire de maman, le 19 avril : la Gestapo est venue lui souhaiter bon anniversaire en pointant sur elle un fusil. De là, mes parents ont été envoyés à la prison Saint-Michel de Toulouse, avec d'autres Juifs. Ils avaient tous les deux des menottes. Mon père avait les poignets ensanglantés, et Maman a demandé qu'on lui desserre les menottes. En réponse, ils les ont serrées un peu plus... Ils étaient donc à la prison Saint-Michel, dans une grande cellule où il y avait une vingtaine de personnes. Ils y sont restés presque un mois, puis ils sont partis pour Drancy. Mon père n'avait plus la force de réagir. C'était au mois de mai 1944. En arrivant à Drancy, Maman s'est dit : "J'ai une chance de m'en sortir. Je vais dire que je ne suis pas la femme du Docteur Lévy. Il entrera tout seul, et j'entrerai sous mon nom de jeune fille, Madame Willard. Je dirai que je suis née à Toul (ville où la mairie a été bombardée), que mon père est vigneron (il n'y avait pas de vignerons juifs avant la guerre) et ma mère couturière (il n'y avait pas de couturière juive avant la guerre)". Maman est donc entrée ainsi, et elle était interrogée tous les jours par le commandant. Étant née à Mulhouse, en Alsace, elle connaissait très bien l'allemand, mais prétendant être née à Toul, on ne savait pas qu'elle savait cette langue. Elle était interrogée en allemand et tandis que l'interprète traduisait, elle avait le temps de formuler sa réponse, qui était toujours la même. Si bien qu'en juillet 1944, on lui a dit : "Madame Willard, vous irez rechercher vos papiers d'identité et vous pourrez rentrer". On lui a donné mille francs de l'époque. C'était à Drancy. Elle est sortie par la grande porte. Sortie de Drancy, sa première décision fut de nous retrouver, mon frère et moi, car elle ignorait ce que nous étions devenus. Mon frère s'appelait Francis Lévy. Il était caché chez un cultivateur au-dessus de Nicole (Lot et Garonne). Quant à moi, après avoir séjourné dans plusieurs familles où, pour diverses raisons, je n'arrivais pas à rester, j'étais chez des cousins Lambert (originaires de Insming, en Lorraine) qui se trouvaient aussi dans le Lot et Garonne, près de Clairac. Mon père a quitté Drancy dans le convoi 73, ainsi que nous l'avons appris plus tard par le travail de Serge Klarsfeld. La vie continuait pour nous, les enfants, qui avions respectivement quatorze et douze ans. Maman se devait de nous élever convenablement. Avec l'aide d'un ami de la famille, elle est venue s'installer à Paris, où mon frère et moi avons poursuivi nos études jusqu'au baccalauréat. Maman a tenu un commerce à Paris. Mon frère a fait son alyah en 1950 et il vit au Kibboutz Hanita. Je me suis mariée, puis nous avons fait notre alyah et pu ainsi rejoindre nos enfants en 1993. À Jérusalem, où nous habitons, je m'occupe de Aloumim, association des Enfants Cachés en France pendant la Shoah, où notre but est de transmettre notre histoire aux générations futures. À la suite d'un voyage en Grèce, j'ai rencontré Shulamit Arar, sœur de Mireille Abramovici, très intéressée par le convoi 73 et les lieux où nos pères ont fini leurs jours. C'est ainsi que j'ai appris l'existence du groupe des familles des déportés du convoi 73, ce qui m'a permis de présenter l'histoire de mon père. Monique Tzoukermann |
Odette Lévy née Willard |