Robert Cahen né le 23 septembre 1902 Robert Cahen naît à Lille le 23 septembre 1902. Il n'a rien du "Juif errant", du nouvel immigré qui inquiète tant les farouches populations locales de l'époque. Sa famille, venue de Lorraine, est Française de très longue date. Son père, Georges Cahen, est le fondateur, avec ses associés (Paul Ausscher et Ernest Emerique) des Nouvelles Galeries du Mans et de Lille. La famille Cahen, relativement aisée, peut être considérée comme membre de la bourgeoisie lilloise. Entre les deux guerres la famille s'installe dans une grande maison de Viroflay, en région parisienne, qui semble mieux convenir à la santé fragile de Mme Cahen... Sa mère, Marthe Louise Cahen, née Wolff souffre des bronches. De fréquents séjours en sanatorium ne suffisent pas à calmer ses douleurs. Il lui faut quitter l'humidité lilloise pour une région plus "respirable", tout en restant à proximité de ses enfants devenus étudiants. Robert est le troisième d'une fratrie de quatre. Il a un frère et deux sœurs (1900, 1901 et 1907). Il épouse Lucienne Lévy le 29 avril 1938 à Paris 16e. Marthe s'est éteinte le 2 mai 1944 à l'Hôpital Rothschild de Paris, aux mains de l'occupant allemand. Elle allait avoir 66 ans. Elle n'a jamais su que son fils avait été arrêté et qu'il était retenu à Drancy, à quelques kilomètres de Paris. Inversement, il est plus que vraisemblable que Robert, interné à Drancy, n'a pas eu connaissance du décès de sa mère. Robert avait été arrêté le 12 avril 1944, alors qu'il se rendait à l'hôpital de Grenoble pour y subir des soins intensifs. Il était atteint de tuberculose et devait subir une "thoracoplastie", intervention extrêmement brutale, et passablement handicapante. Robert était caché en région grenobloise avec son épouse et son tout jeune fils Denis, né en janvier 1940. Son état de santé l'avait contraint à prendre quelques risques et à planifier cette hospitalisation. Il fut arrêté alors qu'il se rendait à l'hôpital, peu après avoir quitté son ami André Moch, caché comme lui en région grenobloise. Simultanément André était abattu lors de sa propre arrestation. |
Un monument commémoratif commun a été dressé sur les lieux de leur arrestation, à Corenc, sur les hauteurs de Grenoble, en 1947. On peut y lire : "12 AVRIL 1944. A QUELQUES PAS D'ICI LE LIEUTENANT ANDRE MOCH DU 6.B.C.A. ANIMATEUR D'UNE ORGANISATION DE COMBAT AYANT MULTIPLIE COUPS DE MAIN ET DESTRUCTIONS, CERNE PAR L'ENNEMI, SUR LE POINT D'ETRE PRIS, SEUL CONTRE VINGT CHOISIT DE SUCCOMBER LES ARMES A LA MAIN POUR LA FRANCE ET POUR LA LIBERTE. SON AMI ROBERT CAHEN SES COUSINS JEAN-PIERRE ET HENRIETTE KAHN, LEUR FILLE FRANCOISE AGEE DE QUATRE MOIS, ARRETES ET DEPORTES PAR LES NAZIS FURENT MASSACRES. LES HOMMES AU CAMP DE KOVNO, LA MERE ET SON ENFANT DANS LES CHAMBRES A GAZ D'AUSCHWITZ. PASSANTS SOUVENEZ-VOUS." |
Il existe également une rue Robert Cahen à Viroflay, où résidait sa famille. Transféré à Drancy, il y entre le 15 avril 1944, pour en sortir un mois plus tard, le 15 mai 1944, avec 877 autres infortunés. Tous étaient juifs. Ils étaient du funeste convoi 73 vers les pays Baltes. La famille ne le revit jamais plus. Longtemps, silencieusement, ils espérèrent son retour. Il y a quelques années encore, un vague espoir de le retrouver captif derrière le rideau de fer effleurait encore quelques esprits. De Robert il ne reste qu'un message griffonné sur un petit bout de papier, et jeté par la fenêtre du train qui l'acheminait à Drancy. Sur ce message qui arrivera bien à son épouse, il l'informe de son arrestation, et lui demande, en langage codé, de prévenir ses amis résistants. Un dernier message, posté de la gare de Bobigny le 15 mai 1944, se veut rassurant. Il fait part à son épouse de son espoir d'être affecté à l'organisation Todt en région bordelaise, ou en Sarre. Il n'y fut jamais envoyé, et ne revint jamais. Grande est la frustration de ses proches de ne pas savoir à quelle date précise, dans quelles circonstances exactes et à quel endroit il fut tué. Nous ne saurons sans doute jamais à quel point il a pu souffrir. Et jamais nous ne trouverons de sépulture sur laquelle nous recueillir. Robert est définitivement perdu, |
Robert, mon frère... Robert était sans doute le plus proche de mes frères et sœurs. Nous n'avions pas seulement une proximité d'âge, mais surtout une grande complicité née de nos caractères et de sa grande gentillesse envers la petite sœur que j'étais. Je me souviens d'un garçon plein de vie, enthousiaste en tout, passionné de photographie. D'ailleurs, comme il était toujours derrière l'appareil photo, il est assez difficile de retrouver des photos de lui. Je me souviens des coups de poings des cours de récré, lorsque Robert et Jacques, son frère aîné, faisaient face aux moqueries, aux vexations antisémites de leurs camarades d'école. Nous n'étions pourtant pas très religieux. Nos amis venaient de tous horizons. Jamais nous n'avons été enfermés par quelque croyance ou coutume religieuses. D'ailleurs, en 1931, mes parents m'autorisèrent sans difficulté à épouser un "non juif". Je me souviens d'un adolescent bricoleur et inventeur, qui nous avait construit divers postes de radio, puis, plus tard, une automobile à direction arrière. Cette automobile originale fut d'ailleurs autorisée à circuler, et il m'emmena plusieurs fois avec lui, faire quelques virées. Après son mariage, en 1938, nous nous sommes un peu moins vus. Puis ce fut la guerre, la débâcle, l'exode. Le hasard a voulu que nous nous croisions encore deux fois sur les routes de l'exode. Nous nous sommes revus une première fois au milieu de nulle part, sur un chemin de campagne dans la région de Beauvais. Plus tard, nous nous sommes également retrouvés, par hasard, à Caen. Je cherchais à rejoindre ma belle-famille en Gironde, lui cherchait, avec femme et enfant à gagner l'Angleterre, via les Pyrénées et l'Espagne. Il n'y est jamais parvenu. Comme beaucoup il est allé se cacher en zone sud, sous occupation italienne, censée être plus sûre (avant d'être elle aussi occupée par les Allemands). C'est là qu'il fut arrêté. Après la guerre Robert n'est pas revenu. Son fils Denis est passé quelquefois à "Iris", la ferme que nous exploitions dans le Nord. En 1947 notre père s'est éteint, puis nos familles se sont progressivement séparées. Aujourd'hui, tous se sont éteints, et je reste la dernière de ma génération, à pouvoir témoigner, et ainsi préserver le souvenir de Robert ; "Oncle Robert", comme l'avaient appelé les enfants. La photo de mes fiançailles le 23 novembre 1930. De gauche à droite, (derrière) : Georges Cahen, notre père, notre mère Marthe, André Cornaille mon beau-père, Etienne Cahen un cousin, je suis devant lui, à mes côtés Michel Cornaille mon futur époux, François Moch, mon frère aîné Jacques, ma sœur Suzanne épouse de François, "tante Mad" (Madeleine) épouse de Jacques, Geneviève Cornaille sœur de Michel, ma tante Suzanne Cahen. Au premier plan) : ma grand-mère maternelle Emma Wolff, "Michou" (Michèle) Cahen fillette, ma grand-mère paternelle Emilie Cahen, et Robert Cahen accroupi, après avoir déclenché la photo. Hélène Cornaille-Cahen, sa "petite sœur" |
Robert, mon père... Évoquer mon père ? J'avais quatre ans à sa déportation, et mes premiers souvenirs commencent quelques mois après... Pour moi, des années plus tard, la Shoah c'est aussi cela : une mémoire volée, un père absent, une expérience, un témoignage non transmis. Ce que je sais, par des proches, par ma mère, c'est la qualité de leur couple, la droiture et le militantisme de mon père, son engagement dans la Résistance (essentiellement comme agent de liaison ; sa santé ne lui permettait pas l'action armée). Ce que je voudrais rappeler, aussi, c'est que la lutte contre le fascisme ne doit pas se borner à rappeler les horreurs du nazisme allemand. La déportation de mon père, de la famille Kahn, la mort les armes à la main du Lieutenant Moch sont la conséquence d'un coup de main de miliciens français. Partout dans le monde, et aujourd'hui autant qu'hier, les hommes libres (qui ont la chance d'être libres) doivent rester activement vigilants et dénoncer les haines raciales, sociales, les crimes d'état qui font toujours l'actualité de notre monde, avec ses cortèges de massacres et d'exclusions... Denis Campanel (né Cahen), son fils |
Oncle Robert... Ferme d'Iris le 31 octobre 1939 Robert et sa sœur Hélène Cahen, avec les 4 premiers enfants d'Hélène : Francine (sera mère de 2 filles), Danièle (3 fils), Annette (5 enfants dont Philippe Cattelain) et Alain (1 fille). Didier, le petit dernier, ne naîtra qu'en 1942. Les enfants étaient trop jeunes à la disparition de Robert pour en garder un souvenir précis. Pourtant, à jamais, il restera "Oncle Robert" dans la mémoire familiale. |
Robert, une mémoire... Né 17 ans après sa disparition, je n'ai hélas jamais connu Robert. Je suis un petit-neveu de Robert, l'aîné des 13 petits-enfants de sa "petite sœur" Hélène, et le père de deux arrière- petits-enfants. Comme pour beaucoup d'autres familles, nous n'avons pratiquement pas abordé avec nos parents et nos grands-parents le sujet de la Shoah, et les circonstances de la disparition de nos proches. Il nous semblait délicat d'évoquer avec eux d'aussi cruels souvenirs, et nous n'avons jamais osé les questionner. De leur côté, ils voulaient probablement nous épargner cette histoire insoutenable. Nous étions la génération de la renaissance, du renouveau. Peut-être pensaient-ils nous ménager une existence sereine, vierge de toute souillure, en essayant d'oublier. Ce faisant ils n'ont fait que très partiellement leur deuil, et, 55 ans après, les blessures ne sont que très superficiellement refermées. C'est au hasard de quelques recherches, et grâce aux nouvelles technologies de l'information, qu'il m'a été donné de "croiser" Mmes Monique Hecker et Eve Line Blum. C'est grâce à elles, au petit groupe de fils, filles et amis des déportés du convoi 73, et au bouleversant document que constitue "Nous sommes 900 Français" que nous avons pu approcher et reconstituer l'itinéraire tragique de Robert. Nous sommes admiratifs du courage dont font preuve les témoins qui s'expriment dans ce livre, et nous leur sommes infiniment reconnaissants de tous les éléments qu'ils nous font partager. À notre tour, nous nous devions de témoigner, pour qu'au-delà de l'histoire de Robert nous puissions nous souvenir des souffrances du peuple juif face au racisme, à l'intolérance et à la barbarie qui s'ensuivit. Je n'ai pas de souvenir de Robert, mais je conserverai la mémoire de son histoire, l'histoire du convoi 73, et avec elles, celle de ces millions d'êtres qui furent exterminés. Juifs, certes, en majorité, mais aussi handicapés ou tziganes, dont le seul tort n'a jamais été que d'être nés différents de la norme de l'époque. Au-delà de l'horreur des exterminations massives, je conserverai la mémoire des événements précurseurs, de la montée de l'antisémitisme depuis le début du siècle, de l'intolérance et du racisme qui n'étaient pas qu'allemands, et pas spécifiquement nazis. Aujourd'hui, nous pensons être protégés d'une résurgence du mouvement nazi. Mais, pour le XXIe siècle qui s'annonce, il nous faut rester vigilants, et combattre les idées d'exclusion sur lesquelles ils bâtirent leur idéologie absurde et criminelle. L'actualité des Balkans, et quelques expériences personnelles, où je fus confronté au racisme envers des collègues arabes, m'ont fait prendre conscience de la nécessité de préserver la mémoire historique de ces événements, pour les générations à venir. Modestement, j'essaie de compiler tous ces éléments sur un petit site Internet, pour les rendre aisément accessibles. Robert, votre vie n'avait pas de prix, votre mémoire nous est précieuse. Nous la préserverons fidèlement. Nous n'avons pas le droit de vous oublier... Philippe Cattelain, son petit-neveu |